Réforme du Livre VI - Quels changements pour les sûretés ?

27.09.2021

Gestion d'entreprise

Plusieurs innovations intéressent la protection des garants, en particulier, les personnes physiques pourront se prévaloir du plan de redressement comme c’était déjà le cas pour le plan de sauvegarde. Concernant les sûretés réelles conventionnelles ou le droit de rétention conventionnel, l'interdiction de tout accroissement de leur assiette résultant du jugement d'ouverture, est consacrée quelle qu'en soit la modalité.

L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du Livre VI du code de commerce (JO, 16 sept.) qui transpose la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132, comporte diverses dispositions intéressant le droit des sûretés qui a été réformé par une ordonnance n° 2021-1192 du même jour (Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021 : JO, 16 sept.).

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Ainsi, les modifications du Livre VI du code de commerce, relatives aux sûretés « améliorent la lisibilité des droits des créanciers titulaires de sûretés en procédure collective et assure notamment l'efficacité des sûretés consacrées par l'ordonnance portant modification du droit des sûretés : la cession de créance et la cession de sommes d'argent, à titre de garantie » (Rapport au président de la République) tandis que « La réforme du droit des sûretés, dans son volet relatif à l'articulation avec le droit des entreprises en difficulté, s'inscrit d'abord dans un triple objectif, de simplification du droit des sûretés, de renforcement de son efficacité et de préservation de l'équilibre entre les intérêts en présence » (ibid.).

Nous nous en tiendrons donc ici aux modifications du Livre VI du code de commerce relatives aux sûretés.

Amélioration de la situation des garants

En conciliation

L’article 7 de l’ordonnance modifie l’article L. 611-10-2 du code de commerce. Par application de ce texte, les garants personnes physiques ou morales (personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie) peuvent se prévaloir des mesures accordées en application du 5e alinéa de l’article L. 611-7. Cet alinéa qui a, d’ailleurs, été modifié par l’ordonnance du 15 septembre 2021, vise les délais de grâce accordés au débiteur à l’égard d’un créancier qui l'a mis en demeure ou poursuivi, ou qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance. Comme auparavant, par application de l’article L. 611-10-2, les garants précités peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord constaté ou homologué. Mais de surcroît, ils peuvent désormais se prévaloir des dispositions prévues au 2e alinéa de l’article L. 611-10-1, à savoir les délais de grâce du code civil accordés au débiteur durant l’exécution de l’accord.

En matière de déclaration des créances

L’article L. 622-33 du code de commerce est réécrit par l’article 22 de l’ordonnance. Il vise toujours le créancier porteur d'engagements, solidairement souscrits par le débiteur soumis à une procédure de sauvegarde et d'autres coobligés, qui a reçu un acompte sur sa créance avant le jugement d'ouverture. Et comme antérieurement, il est expressément précisé qu’il ne peut déclarer sa créance que sous déduction de cet acompte et conserve, sur ce qui lui reste dû, ses droits contre les personnes coobligées ou désormais de manière beaucoup plus générale, les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, et non plus seulement le coobligé ou la caution. Un nouvel alinéa 2 ajoute que les garants précités qui ont fait le paiement partiel peuvent déclarer leur créance pour tout ce qu'elles ont payé à la décharge du débiteur.

La nouvelle rédaction de l’article L. 622-34 introduite par l’article 23 de l’ordonnance permet désormais expressément aux garants, de procéder à la déclaration de leur créance afin de sauvegarder leur recours personnel.

Sans doute de manière beaucoup plus innovante pour les garants, le nouvel alinéa 2 de l’article L. 624-3-1 du code de commerce (Ord., art. 26) dispose que « Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, lorsqu'elles sont poursuivies, ne peuvent se voir opposer l'état des créances lorsque la décision d'admission prévue à l'article L. 624-2 ne leur a pas été notifiée », c’est-à-dire la décision d’admission ou de rejet de la créance.

Il faut ajouter que l’article L. 624-2 est légèrement modifié pour prévoir qu’en l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission, mais « si la demande d’admission est recevable » est-il ajouté. En d’autres termes, comme il est précisé dans le rapport au président de la République, le juge-commissaire peut désormais déclarer irrecevable une demande d'admission sans pour autant devoir la rejeter dans cette hypothèse (Ord., art. 25). Et ledit rapport d’en déduire que « La caution ne pourra donc pas opposer une décision de rejet alors que le juge n'a pas statué au fond sur la créance déclarée dans la procédure du débiteur principal ».

Ajoutons pour en terminer sur ce point que l’article R. 624-8 qui prévoit que tout intéressé peut présenter une réclamation sur l’état des créances dans un délai d’un mois à compter de la publication, précise depuis le décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 (D., art. 17) que la décision d’admission devra donc être notifiée aux garants et que le délai d’un mois court à compter de cette signification. De surcroît, en cas d’appel, les garants non appelés dans la cause peuvent former tierce opposition.

Amélioration de la situation des garants personnes physiques

Par une meilleure information

Après l’article R. 622-25 du code de commerce, est inséré un nouvel article R. 622-5-1 (D., art. 13), selon lequel le débiteur porte désormais à la connaissance du mandataire judiciaire l’identité des garants, personnes physiques. Et, le mandataire judiciaire doit alors les informer de la possibilité qui leur est offerte de solliciter le bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers.

En cas d’adoption d’un plan de redressement.

L’article 43 de l’ordonnance abroge le dernier alinéa de l’article L. 631-14 du code de commerce, qui disposait que les garants ne pouvaient se prévaloir du plan de redressement, ni des dispositions prévues au premier alinéa de l’article L. 622-28, relatif à l’arrêt du cours des intérêts. Ainsi, désormais, la situation des garants personnes physiques est identique en sauvegarde et en redressement judiciaire, afin que selon le rapport au président de la République « d'améliorer la cohérence des règles relatives à ces garants en procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire ». Tout en approuvant la règle, on relèvera toutefois qu’au fil des réformes les différences entre sauvegarde et redressement judiciaire s’estompent.

Signalons, en outre, l’article 21 de l’ordonnance modifiant l’article L. 622-26, alinéa 2, qui aligne la situation des garants personnes physiques lorsque le créancier n’a pas déclaré sa créance dans le cadre du plan de redressement. Plus précisément, l’inopposabilité de la créance aux garants personnes physiques n’est plus limitée à la durée du plan mais après cette exécution lorsque les engagements énoncés au plan ou décidés par le tribunal ont été tenus.

Amélioration de la situation des créanciers titulaires de sûretés réelles

Interdiction, de tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, après le jugement d’ouverture

Consécration de l'interdiction

L’article L. 622-21, II du code de commerce est modifié par l’article 19 de l’ordonnance pour « interdire de plein droit, tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité, par ajout ou complément de biens ou droits, notamment par inscription de titres ou de fruits et produits venant compléter les titres figurant au compte mentionné à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, ou par transfert de biens ou droits du débiteur ».

Cette modification consacre donc l'interdiction, résultant du jugement d'ouverture, de tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité. Et il est expressément ajouté que « Toute disposition contraire, portant notamment sur un transfert de biens ou droits du débiteur non encore nés à la date du jugement d'ouverture, est inapplicable à compter du jour du prononcé du jugement d'ouverture ».

Accroissement possible de l'assiette

Toutefois, le texte admet l’accroissement de l’assiette s’il résulte d'une cession de créance prévue à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier lorsqu'elle est intervenue en exécution d'un contrat-cadre conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure ou d'une disposition contraire du Livre VI du code de commerce ou d'une dérogation expresse à son application prévue par le code monétaire et financier ou le code des assurances.

À titre d'illustration, le rapport au président de la République précise que « ce principe de non-accroissement de l'assiette des sûretés réelles conventionnelles s'applique au nantissement de compte titres de l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, l'accroissement pouvant intervenir par inscription de titres ou de fruits et produits venant compléter les titres nantis ». Il faut préciser que depuis l’ordonnance réformant les sûretés, la cession de créances futures à titre de garantie et le nantissement de créances futures produisent désormais leurs effets immédiatement, dès la date de l'acte de cession ou de nantissement, même si la créance sur laquelle elles portent ne naît qu'ultérieurement. C’est l'application de cette solution en procédure collective qui a été jugée « inopportune » car risquant de « faire obstacle à la poursuite de l'activité de l'entreprise, privée d'une partie de sa trésorerie ». (Rapport au président de la République).

Déclaration des créances et bénéficiaire d'une sûreté réelle constituée par le débiteur en garantie de la dette d'autrui

L’article L. 622-21, II du code de commerce est également modifié par l’article 19 de l’ordonnance pour étendre la règle de l'arrêt et de l'interdiction des procédures d'exécution au bénéficiaire d'une sûreté réelle constituée par ce débiteur en garantie de la dette d'autrui. Ainsi, la règle de l’arrêt des poursuites n’est plus limitée aux seuls créanciers du débiteur (voir rapport au président de la République). De surcroît, il doit, lui aussi, désormais déclarer sa créance. Ajoutons que l’article L. 622-26 du code de commerce soumet le bénéficiaire de cette garantie à l'obligation de solliciter un relevé de forclusion, à défaut de déclaration régulière dans les délais, ce qui selon le rapport au président de la République « rapproche son statut, à l'égard de la procédure collective, de celui d'un créancier du débiteur, serait-il créancier d'un tiers ».

La déclaration des créances doit dorénavant porter sur l'assiette de la sûreté et non plus seulement sur sa nature mais elle indique également « le cas échéant, si la sûreté réelle conventionnelle a été constituée sur les biens du débiteur en garantie de la dette d'un tiers » (C. com., art. L. 622-25, al. 1er  , mod. par Ord., art. 20).

Transfert de la charge des sûretés au cessionnaire

L’article L. 642-12 du code de commerce relatif au transfert de la charge des sûretés garantissant le remboursement d’un crédit, au cessionnaire, est modifié en son 4e alinéa (Ord., art. 57). D’une part, il est désormais expressément exigé du créancier qu’il ait régulièrement déclaré ses créances dans les délais pour bénéficier du transfert des sûretés et donc pour percevoir les échéances convenues avec le cessionnaire, restant dues à compter du transfert de la propriété du bien sûr lequel porte la sûreté. D’autre part, il est expressément indiqué que le débiteur est libéré des échéances que le cessionnaire doit acquitter.

Le privilège agricole passe du code civil au code de commerce

Un nouvel article L. 624-1 du code de commerce est instauré (Ord., art. 27). Il reprend l’article 2332-4 du code civil à l’identique et prévoit donc toujours un paiement par préférence des sommes dues aux producteurs agricoles par leurs acheteurs à due concurrence du montant total des produits livrés par le producteur agricole au cours des quatre-vingt-dix jours précédant l'ouverture de la procédure.

Seules les créances garanties par les articles L. 3253-2 et L. 3253-5 du code du travail, priment ces créances. L’article 2332-4 avait été instauré par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, mais cette disposition a été abrogée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 décembre 2021 portant réforme des sûretés (Ord. n° 2021-1192, art. 7). La règle figure donc désormais dans le code de commerce, mais l’abrogation de l’article 2332-4 du code civil entre en vigueur le 1er janvier 2022, (Ord. n° 2021-1192, art. 37), tandis que l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du Livre VI du code de commerce, entre en vigueur le 1er octobre 2021. Aussi, par application de l’article 73, II de cette ordonnance, la référence faite au nouvel article L. 624-21 du code de commerce se lira jusqu’au 1er janvier 2022 comme faite à l'article 2332-4 du code civil.

Philippe Roussel Galle, Conseiller scientifique
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